Philippe Chevrier reçoit dans son jardin d’Éden

Philippe Chevrier

« Les clients accordent parfois plus d’importance au cadre qu’à la nourriture »
 
Le maître de Châteauvieux, le cuisinier Philippe Chevrier, s’est fait une spécialité de reprendre des restaurants, d’en travailler l’âme, autant que l’offre gastronomique.

C’est un jour d’été chatoyant dans la campagne genevoise. Le Domaine de Châteauvieux du chef Philippe Chevrier déborde de couleurs, de fleurs : lauriers roses, géraniums, fuchsias, lavandes et autres espèces, dont certaines se retrouvent dans l’assiette des convives du restaurant doublement étoilé au Michelin. Les papillons et les abeilles volettent dans ce paradis de butineurs. Les fontaines qui bouillonnent complètent ce décor exubérant et idyllique.

 

Mais un raffut inhabituel issu de la salle à manger dissipe en partie la béatitude. Des ouvriers ont entamé la rénovation du restaurant. Deux ans après la terrasse, où l’on continue de manger tout l’été face aux méandres du Rhône en contrebas, la salle à manger va moderniser son décor. Une vente aux enchères réalisée en juin a fait disparaître le mobilier et les tableaux qui donnait un air bourgeois et rustique à la salle.

 

Philippe Chevrier nous a reçu pour nous parler de ces nouveaux aménagements de son restaurant gastronomique, qui s’ajoutent aux nombreuses retouches apportées au spacieux bâtiment du 16e siècle, une ancienne métairie, qui abrite également treize chambres quatre étoiles. Ce restaurateur, qui possède en propre ou gère désormais six restaurants à Genève et dans la région, développe aussi une réflexion sur l’élément crucial du décor, synonyme d’expérience pour ses hôtes.

  
IMMOMAG : Il paraît qu’ici, jadis, il y avait un château.

 

PHILIPPE CHEVRIER : Le village de Peney était une place forte catholique. Au moment de la Réforme, son château a été brûlé par les protestants genevois. On dit d’ailleurs que les vieilles maisons de Peney sont construites avec les pierres du vieux château. Châteauvieux tire son nom de cette histoire.

 

IMMOMAG : A quoi ressemblait l’édifice quand vous l’avez racheté il y a près de 30 ans?

 

PHILIPPE CHEVRIER : J’y ai travaillé pendant deux ans comme chef cuisinier, avant de le racheter. A l’époque, il n’y avait pas de téléphone direct dans les chambres. On chauffait au charbon. C’était une auberge de campagne. Un lieu où l’on organisait volontiers des réceptions de mariage.

 

IMMOMAG : Qu’est-ce qui vous a séduit ?

 

PHILIPPE CHEVRIER : J’y ai vu un fort caractère et un immense potentiel. Je me suis dit qu’il fallait créer un restaurant gastronomique, qui fasse venir les gens, ce qui est plus évident qu’avec une cuisine conventionnelle. Nous avons rénové le bâtiment petit à petit en fonction des possibilités financières. Chaque étape nous a permis non seulement d’entretenir, mais aussi d’améliorer l’accueil. Nous avons créé une épicerie dans les anciens garages, refait la terrasse. Aujourd’hui, l’hôtel appartient à la catégorie quatre étoiles et est membre des Relais & Châteaux.

 

IMMOMAG : Comment comptez-vous rénover la salle à manger ?

 

PHILIPPE CHEVRIER : Nous allons conserver l’esprit des lieux en travaillant avec des matériaux nobles : bois, pierre, bronze. Les murs en boulets resteront visibles, même s’ils seront parfois habillés de boiseries. A Châteauvieux, on ne peut pas concevoir un décor trop froid, trop moderne. Cependant, un sol de pierres italiennes va remplacer les vieilles faïences. Un nouveau mobilier plus contemporain, avec notamment des sièges en cuir, va supplanter les sièges plus rustiques tendus de velours de l’ancienne salle.

 

IMMOMAG : Est-ce qu’à la manière des designers de mode, qui sont appelés à créer tout type d’objet, de la batterie de cuisine au TGV, en tant que cuisinier vous imprimez une direction artistique à chaque aspect d’un lieu, ou est-ce que vous vous faites épauler par des professionnels du domaine?

 

PHILIPPE CHEVRIER : J’ai un goût sûr, mais l’architecture demeure un métier, avec ses compétences, dont on ne peut pas se passer. Il faut se faire conseiller sur les matériaux et leur durabilité par exemple. En l’occurrence, j’ai collaboré avec la décoratrice d’intérieur Marina Wenger, de Version M à Nyon. Une femme.

 

IMMOMAG : C’est important ?

 

PHILIPPE CHEVRIER : Oui, je pense qu’une femme est plus sensible aux détails qu’un homme. Elle vérifiera par exemple si un siège est confortable, ce qu’un homme pourrait négliger.

 

IMMOMAG : Vous avez travaillé avec d’autres professionnels de la décoration ?

 

PHILIPPE CHEVRIER : Pour le restaurant Chez Philippe, j’ai fait appel à Georges Tornier d’Atelier 94, à Arzier. Il s’agit d’un cadre nettement plus brut. Je l’ai emmené à New York pour lui montrer plusieurs steak houses. J’ai réalisé un vieux rêve d’ouvrir un restaurant de ce type. Ceux de New York ne ressemblent pas à ceux du Midwest. Ils ont une petite touche plus chic, plus élégante, que je souhaitais atteindre.

 

IMMOMAG : L’aménagement s’adapte aux modèles de restauration. Mais est-ce qu’à l’inverse l’idée d’un plat peut être suggérée par un décor ?

 

PHILIPPE CHEVRIER : La cuisine ne cesse d’évoluer. Elle s’allège, elle se rajeunit. Il faut que le cadre soit en adéquation avec cette tendance sociétale. Je remarque que les clients attachent énormément d’importance et d’attention au lieu qui les accueille. Parfois d’ailleurs plus qu’à la nourriture. Aujourd’hui, un lieu doit en « jeter » tout en créant une atmosphère dans laquelle les gens se sentent bien. La responsabilité du personnel en la matière est primordiale: ils sont l’âme de la maison.

 

IMMOMAG : L’accueil passe aussi par des détails, comme ces fleurs qui scandent l’expérience au Domaine de Châteauvieux.

 

PHILIPPE CHEVRIER : Oui exactement, les fleurs, le service, tout ce qu’on nomme l’art de la table joue un rôle décisif dans le bien-être du client. Dans un repas, l’assiette tient le rôle du cadre autour du tableau. Nous renouvelons régulièrement notre porcelaine. Nos fournisseurs nous envoient leurs nouvelles collections. Durant un repas, nous ne servons plus dans la même batterie tout du long. Nous privilégions une approche moins protocolaire, dépareillée.

 

IMMOMAG : On connaît le stress intense auquel un grand chef est soumis. Avez-vous aménagé votre maison personnelle tel un cocon qui favorise le lâcher prise?

 

PHILIPPE CHEVRIER : Il est vrai que notre profession nous amène à nous déplacer beaucoup, à être toujours en mouvement. On passe donc peu de temps chez soi, en famille. Il s’agit donc de se sentir bien durant ces moments précieux. Je conçois ma maison comme un havre de paix. J’ai besoin d’espace pour respirer. Pas forcément en superficie, mais en hauteur de plafond : 2,70 mètres au minimum, une hauteur qu’on trouve généralement dans les vieux appartements. Un jardin bucolique, donc pas tenu au cordeau, me ravit aussi.

 

IMMOMAG : Et votre cuisine personnelle, à quoi ressemble-t-elle ?

 

PHILIPPE CHEVRIER : A une cuisine ménagère, un brin améliorée, avec par exemple une plancha, un grill et un wok. Pour un avoir du plaisir à cuisiner, il faut se doter d’un minimum de matériel.

 

IMMOMAG : Il vous arrive donc d’inviter des amis à domicile?

 

PHILIPPE CHEVRIER : Bien sûr !

 

IMMOMAG : Quelle est votre spécialité ?

 

PHILIPPE CHEVRIER : (sourire) J’adore la viande, le poisson. La truffe aussi, un don des dieux ! Mais la noire, qui est un produit, alors que la blanche est un condiment. La volaille à la broche. En fait, j’aime tout, ce qui explique mon léger embonpoint !

   

 


Les premiers pas d’un cuisinier étoilé

 
Philippe Chevrier s’est fait connaître par sa cuisine qui marie produits d’exception et légèreté, avec un penchant certain pour les émulsions. Sa large reconnaissance est le résultat d’un brillant parcours entamé tôt.

 

1960 - naissance de Philippe Chevrier qui passe son enfance à Aïre, dans le canton de Genève.

 

1975 - stages en boulangerie et en confiserie.

 

1976 - apprentissage au Chat Botté, le restaurant du Beau-Rivage, à Genève.

                                                        

1984 - passage d’un an dans les cuisines de Frédy Girardet à Crissier (VD).

 

1986 - il entre comme chef cuisinier au Domaine de Châteauvieux, alors une simple auberge qui fonctionne avec le dernier fourneau à charbon de Suisse.

 

1989 - rachat de Châteauvieux. Il s’emploie à en faire un restaurant de haute gastronomie.

 

1994 - le guide Michelin lui accorde sa deuxième étoile, synonyme d’excellence.

 

1998 - la note suprême de 19/20 lui est attribuée par le guide Gault/Millau.

Serial restaurateur 

 
L’empire Philippe Chevrier compte six adresses aux caractères bien trempés. Petit tour du propriétaire.

 

Le maître de Châteauvieux, n’aime rien moins qu’ouvrir de nouveaux restaurants, inventer de nouveaux concepts gastronomiques. Sa première incursion hors de son domaine, s’est faite dès 1998 au Café de Peney, une sorte de guinguette, où il a proposé une cuisine plus abordable, de type bistronomique. Le Café de Peney est aujourd’hui en location, tout comme le Vallon de Conches et le Relais de Chambésy. Mais il reste encore de nombreux joyaux à sa couronne.

 

- La Marjolaine, le petit dernier. Philippe Chevrier n'est que "consultant" de ce restaurant depuis 2018. Il concocte une cuisine méditerranéenne dans cet endroit mythique de la rue du Rhône, anciennement appelé le Relais de l’Entrecôte. Il n’a pas touché à ses boiseries, car l’établissement est scrupuleusement classé.

 

- Ouvert en 2015, le steak house Chez Philippe, une adresse spécialisée en viande grillée (Angus, bœuf de Kobe, etc.). Le restaurateur reçoit dans un décor loft urbain habillé de bois à l’aspect non traité.

 

- Denise’s Art of Burger, ou l’art du burger gastronomique depuis 2014, chez Globus à Genève.

 

- Le Patio Rive Gauche, bœuf toujours, mais mâtiné de homard dans cette adresse historique reprise en 2013, où le chef avait travaillé brièvement comme second en 1985.

 

- Le Café des Négociants, un des plus fameux bistrots de Carouge que le cuisinier dirige depuis 2009.